Les résidents de l’U.V.P. (Unité de vie Protégée) de la résidence Verdi m’attendaient à 14 heures pour un atelier « Musicothérapie » que j’ai pris l’habitude d’appeler « atelier bien être ».
Petit comité, six personnes, plus deux soignantes pour cet atelier au calme entre nous.
Hubert, Marie, Anna, Gilbert, Jacqueline et Madeleine étaient présents.
Les résidents de l’UVP sont pour la plupart atteints de la maladie d’Alzheimer, à un degré assez avancé. Les autres ayant des pathologies assimilées, au même degré, le petit groupe que nous formions était bien suffisant pour un travail efficace.
Les deux soignantes, Chloé et Natalina ont été remarquables. Présentes, discrètes, proches des résidents, et veillant à ce que l’on reste au calme, à l’image de Natalina qui a été demandé aux agents de ménage de ne pas nous déranger et d’aller balayer ailleurs.
Il faut dire que la dernière fois, ces messieurs du ménage avaient copieusement perturbé les résidents par leur manque de discrétion, coups de balais dans les pieds de la table ou nous étions installés et autres bruits de chaises, ou pire encore en s’interpellant d’un bout à l’autre du couloir.
J’avais dû interrompre l’atelier en me fâchant un peu et en demandant de bien vouloir respecter la paix des résidents et par la même mon travail. Le message avait été entendu par la direction, ce qui a sans doute permis à Natalina de mettre les points sur les « i » aux deux balayeurs « je-m’en-foutistes ».
Je sais par expérience qu’un rien peut perturber une personne en UVP, et lors de mes ateliers j’essaye de capter au maximum l’attention des résidents. Je tiens à ce qu’ils restent connectés en permanence avec moi.
Une heure c’est long pour eux mais on y arrive, d’autant plus facilement quand le groupe est restreint comme c’était le cas aujourd’hui.
Les chansons choisies étaient toutes d’une extrême douceur et avons évidemment fait un travail sur la mémoire.
Pour ce type d’ateliers les mots clefs sont en effet : douceur, concentration, mémoire et émotion.
Par une sorte de quizz musical extrêmement simplifié avant chaque chanson et à travers la participation chantée des résidents, nous avons eu de très bons résultats aujourd’hui.
Hubert, Marie et Jacqueline ont vraiment chanté et sont restés concentrés une heure durant, même si c’est plus difficile pour Hubert qui a tendance à s’évader dans sa tête et pour qui il est impératif d’être dans un univers sans perturbateur. Bravo à eux trois pour ces beaux échanges verbaux, mélodiques et amicaux. Ils peuvent être fiers d’eux, je leur ai dit en fin de séance combien ils m’avaient fait plaisir. Ce que je leur ai demandé n’était pas simple et ils ont réussi avec brio.
La pathologie de Gilbert ne lui permet pas de chanter et d’ailleurs je ne le lui demande pas. Je tiens juste à ce qu’il écoute, qu’il soit des nôtres et si possible que ses yeux soient dans les miens. D’habitude Gilbert est assoupi dans son fauteuil et fait « acte de présence ». Aujourd’hui c’était différent, Gilbert était vraiment avec nous tous, il est resté éveillé, à l’écoute, et j’ai même aperçu quelques étincelles dans le bleu de ses yeux.
Anna, très attentive, est au quotidien assez bavarde, mais elle parle en Croate, donc difficile à comprendre.
Anna a plutôt la bougeotte habituellement, elle va et vient dans le couloir en racontant des histoires dans sa langue natale.
Aujourd’hui Anna était semi-allongée dans un confortable fauteuil, éveillée et très attentive. Elle m’a fixé en permanence, sans trop parler, le sourire aux lèvres. A la fin d’une chanson quand elle est contente, Anna rigole. Je trouve que c’est une bien jolie manière de montrer qu’on est heureux, d’ailleurs n’est ce pas la meilleure ?
Madeleine est normalement attentive et agréable. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare Madeleine était très perturbée aujourd’hui, agressive, grossière, excitée. elle a balancé mon cahier par terre et tapait très fort sur la table du plat de la main.
On aurait pu penser qu’elle faisait tout pour embêter tout le monde, mais non, Madeleine est en souffrance, c’est sa pathologie qui la fait réagir comme ça. Je lui ai juste dit: « Madeleine, je préfère quand tu es sympa avec moi. La dernière fois tu me disais que je chantais bien, que j’étais gentil et beau… J’aimerai bien entendre encore des gentillesses aujourd’hui, enfin si tu veux bien. Je compte sur toi parce que je sais que tu es gentille. » Et j’ai enchaîné avec une chanson d’Edith Piaf car je sais qu’elle aime ça.
Madeleine est restée calme et attentive jusqu’au bout malgré quelques battements sur la table qui nous servaient de percussions, mais plus de grossièretés. Elle n’a pas chanté pour autant mais au moins elle était sage.
Quand je l’ai embrassée en partant, Madeleine m’a dit merci à l’oreille.
Chloé et Natalina, les deux soignantes, je le disais en introduction, ont participé de la bonne manière à l’atelier. Chloé chantait à l’oreille de Jacqueline qui aussitôt se mettait à chanter avec elle tout en me fixant.
Natalina était à côté d’Anna et semblait très connectée et douce avec elle.
Merci pour ce joli moment à l’UVP de la résidence Verdi. Beaucoup de douceur, de tendresse et d’émotions à notre table de travail.
Prochain atelier « bien-être » au premier étage de la résidence, dans 15 jours, avec lumière tamisée, en petit comité, pour les personnes en grande souffrance physique et/ou dans un état de dépression profonde.