Ceci est le deuxième volet de la série « Histoires de chansons » consacrée aux chansons que j’ai composées sur l’album Comme vous (2004) de Michel Delpech.
Je vais encore une fois me creuser les méninges, essayer de me rappeler des détails de la création, de l’enregistrement et des anecdotes relatives à ce titre, cette chanson aux allures « west coast », et tenter de m’approcher de ce qui s’est réellement passé, sachant que 15 ans après j’ai le droit de me tromper un peu..
Voici donc l’histoire de :
Elle ne passera pas un hiver de plus ici
Paroles : Michel Delpech et Pierre Grillet. Musique : Laurent Foulon
Le titre est long mais explicite. J’ai tendance à l’appeler « pas un hiver de plus » et j’imagine que vous aussi, enfin, ceux qui la connaissent et l’apprécient.
C’est la dernière chanson de l’album que Michel a chanté en studio, lors du mixage des autres titres, car le texte n’était pas tout à fait abouti selon les auteurs, mais j’y reviendrai un peu plus bas.
Commençons donc par le commencement,
l’écriture:
Pierre Grillet et Michel Delpech avaient ébauché ce texte, bien avant que l’on décide de faire un album.
Un jour que je repartais de chez lui, l’ami chanteur me donne au dernier moment, comme c’était souvent le cas (par pudeur sans doute) cette ébauche écrite à quatre mains.
J’attends d’être chez moi, c’est à dire en Bourgogne à l’époque, pour découvrir ses mots, guitare sur les genoux et café ou verre de vin selon l’heure, et dictaphone avec K7 vierge et piles neuves, sur la table.
Michel m’avait raconté l’histoire brièvement et je savais donc qu’elle était empreinte (pour une fois) de son existence véritable. Je ne vous raconterai pas ici « la vraie » idée de départ de cette chanson évidement, mais sachez juste que cet auteur qu’était Michel s’inspirait souvent de la vie des autres et plus rarement de la sienne.
Par exemple, contrairement à ce qu’ont raconté les journaux, lors de la sortie des divorcés il n’était pas sur le point de se séparer de sa femme, mais cette chanson reflétait un peu la vie de son co-auteur et surtout un fait de société important.
De l’écriture à la composition :
Je me souviens avoir un peu ramé pour composer cette chanson. J’aimais beaucoup le texte même s’il était loin d’être fini donc j’ai insisté et j’ai dû faire quelques 6 ou 7 versions mélodiques avant d’oser en proposer une au chanteur.
Il faudrait qu’un jour je vérifie tout ça car tout est enregistré sur les mini K7 dictaphone quelque part au fond d’un carton…Mini K7, voilà un mot étrange que la jeunesse ignore…
Quand j’ai trouvé la mélodie définitive, j’avais une idée très arrêtée sur la finalité du morceau. Pas country comme je l’ai souvent entendu dire, mais plutôt « côte ouest », ambiance Eagles si vous préférez..
Michel a été séduit immédiatement par la mélodie. Cela lui a donné l’impulsion pour finir son texte.
Je me souviens aussi d’un certain coup de téléphone :
Je suis chez moi. J’habite dans une maison improbable. Un ancien relais de chasse à l’orée d’une forêt. Un truc trop grand et trop chargé en négatif (relais de chasse oblige).
Mais j’étais tranquille. Aucun voisin si ce n’est une ferme à 1 km à vol d’oiseau, et rien d’autre. Pour arriver chez moi il fallait prendre un petit chemin à travers la forêt pendant un bon kilomètre, ce qui n’est pas très engageant pour des visiteurs… Je n’y suis pas resté longtemps.
Michel n’est jamais venu dans cette maison. Un jour il m’appelle et me dit : « Laurent je cherche des idées pour terminer la chanson pas un hiver de plus. Tu es chez toi là? Ok… Tu peux me décrire ou tu habites exactement, l’ambiance, le décor..etc..?
Je lui réponds : bin en fait je suis au calme, je n’entends que le tracteur du voisin passer de temps en temps…. un peu plus tard dans la discussion : « y a une scierie pas très loin et dès fois selon le vent je l’entends…» , « et un train de marchandise qui passe de temps à autre à quelques kms » .
Michel de surenchérir : « et là tu vois quoi? »
« je vois quelques buses et deux trois corbeaux qui passent au dessus de moi, des vaches dans un champ, un peu plus loin quelques chevaux… »
Michel : « et le village il est loin? qu’est ce qui s’y passe? »
Moi: « Bof: trois fois rien comme dans toutes les campagnes , les mêmes jeunes qui s’emmerdent et se donnent rendez-vous sur les marches de la mairie, les coiffeurs de province, les bistrots etc… »
Cette anecdote n’a de sens que si vous connaissez les paroles de cette chanson évidemment… Michel avait besoin de se projeter dans cet univers pour terminer son texte.
Pendant son temps d’écriture nécessaire, je peaufine l’idée que je me fais des arrangements. Ambiance très américaine avec si possible du Dobro.
Le Dobro c’est ça:
Le dobro est l’instrument Blues, Blue grass et country par excellence.
Sur l’introduction du morceau Elle ne passera pas un hiver de plus ici c’est le dobro que vous entendez, joué par un maître en la matière : Eric Sauviat
Enregistrement de la chanson :
Vous aurez donc compris que le Dobro d’Eric Sauviat a été la base de cet enregistrement.
La discussion et l’orientation des musiciens est une question de culture.
Je sais qu’Eric est particulièrement attaché à la musique folk, traditionnelle, blues, Américaine et Canadienne (Acadienne aussi). Lors de ses tournées diverses au Canada, que ce soit avec le groupe Daran et les chaises ou plus récemment avec Francis Cabrel, il a ramené quelques instruments achetés chez des luthiers de là bas… et quand on sait bien en jouer comme Eric sait, ça change tout.
Je parle avec l’ami Sauviat et lui dit : « j’aimerai que l’intro sonne comme du Daniel Lanois , au Dobro. » Et cette phrase suffit!
Daniel Lanois est ingénieur du son. Immense producteur (réalisateur) de disques, pour U2 notamment pour qui il apportera le son nécessaire au bon moment. C’est donc grâce à lui que ce groupe irlandais a pu prendre un nouveau départ et une dimension internationale.
One , in the name of love, with or without you, entre autres c’est lui!
Ce Canadien originaire de Toronto, installé à Los Angeles a aussi produit Peter Gabriel (albums So et album Us ) Emmylou Harris, Bob Dylan, Aaron Neville et j’en passe.
Daniel Lanois a aussi une carrière de chanteur (auteur/compositeur). Son tube connu en France est Jolie Louise mais il a commis quelques albums d’une rare beauté, avec un son qui lui est très personnel, et pour les fans que nous sommes, reconnaissable dès les premières mesures.
Ci dessous les trois albums majeurs de D.Lanois
Pardon d’avoir insisté sur Daniel Lanois mais sans ma passion pour le travail de cet homme là, l’album Comme Vous n’aurait jamais eu cette gueule là.
Un jour, à la fin d’une émission qu’on enregistrait sur RTL, Laurent Boyer, qui ne manque vraiment pas de culture, me dit « on sent bien les influences James Taylor et J.J. Cale sur cet album ». Je lui réponds : « oui c’est ce que Michel voulait (côté ambiance) mais mes influences musicales réelles sont Daniel Lanois, Bruce Springsteen et Elvis Presley »
L. Boyer me regarde, interloqué , et me dit « Elvis ? vraiment ? alors là je suis scié! »
Et pourtant c’est vrai et j’étais dans l’incapacité de lui expliquer pourquoi, et puis nous avions peu de temps…
Bref, nous en étions donc à l’introduction de la chanson au Dobro.
Christophe Marais, notre ingénieur son, grand fan de Daniel Lanois comme tout bon Ingé son qui se respecte, surenchérit et dit : Oh oui oh oui ! et se met à chanter The Collection of Marie Claire de Lanois. Là je dis yes Christophe ! J’aimerais une intro inspirée de ça!
Sauviat comprend immédiatement… et me joue quelques chose au Dobro. C’est resté l’intro du morceau.
La direction des musiciens est aussi et surtout une question de discussion et de culture commune.
Autre instrument atypique dans cette chanson : Le Guitorgan
Cet instrument surréaliste, mélange d’orgue et de guitare électrique créé le lien entre tous les instruments sur Elle ne passera pas un hiver de plus ici . C’est aussi un des instruments fétiches de Daniel Lanois, et le hasard (qui n’en ai pas un) a fait que le sieur Sauviat en avait un dans un de ses nombreux flight case.
J’en parle en détail dans le chapitre 4 ci-dessous :
Au départ je voulais une pedal steel mais le guitorgan l’a emporté, et les deux ensemble plus le dobro c’était compliqué (dissonance, surcharge…)
La rythmique a été jouée très vite (deux ou trois prises seulement).
Une fois la rythmique enregistrée, les instruments additionnels pouvaient venir se greffer dans les arrangements, avant que la voix du chanteur ne soit posée, ainsi que les choeurs.
les meilleurs et pires moments :
meilleurs moments:
- Quand Sauviat a sorti son guitorgan, j’étais comme un dingue.
- Séances de voix et de choeurs : Je suis hyper fier de la séance de choeurs sur cette chanson. C’était au studio Ferber. J’ai enchainé les voix avec beaucoup de facilité, comme une évidence. Une tierce, une quinte, on passe à l’octave et re-belote, parfois une quarte ou un truc bizarre, le tout en voix de tête, parfois un peu fausset… mes références : Eagles, Steely Dan et autre « west coast band » . J’aime vraiment l’ambiance qui se dégage de cette chanson, un côté « grands espaces, auto radio à fond et bras à la portière… »
- Autre excellent moment pour moi, pour nous, la présence de Pierre Grillet pour peaufiner le texte au studio Acousti et lors des séances de voix au studio Ferber, pour le plaisir de partager ce moment avec nous. Cet auteur talentueux avait le truc pour détendre l’ami Delpech. Il savait trouver le juste mot dans l’urgence..
Le pire moment concernant cette chanson fut lors de la tournée :
Puisqu’il faut rendre à César ce qui lui appartient , je tiens à remettre complètement les pendules à l’heure à propos de l’introduction au dobro de cette chanson.
Je vais faire court si je peux. Eric Sauviat a joué en studio l’intro au Dobro sur cette chanson, c’est un fait. Le premier titre que nous avons joué en tournée était Elle ne passera pas un hiver de plus ici et notamment lors de la captation DVD et CD au Bataclan, mais avant que l’artiste fasse son entrée sur cette chanson, Eric Sauviat jouait du Dobro, seul en scène en se rapprochant au maximum des harmonies de ce qui allait donc suivre. On peut donc dire que cette intro de concert est une création du sieur Sauviat.
Mais sur le CD et DVD du concert au Bataclan, la maison de disques a reconnu cette chanson comme un titre à part entière, c’est chanson n°1 « introduction » chanson n° 2 « elle ne passera pas un hiver de plus ici » et de ce fait ils m’ont crédité comme le compositeur de l’intro aussi… et… je ne l’ai pas vu à la relecture du livret, si toutefois je l’ai eu à relire (m’en rappelle pas).
Quand le DVD est sorti, nous étions en promo sur une émission live pour France 3 (émission présentée par Lio qui s’appelait « Tout pour la Musik »). Dans le TGV nous menant à Lille, Eric Sauviat m’a fait part de son mécontentement (à juste titre) concernant selon lui « le manque de classe que j’avais eu ».
Je ne me suis rarement senti aussi con, aussi mal, et aussi incompris, mais il était trop tard pour corriger. Je lui ai proposé d’essayer d’intervenir auprès de la maison de disques, Eric m’a dit de laisser tomber que c’est pas ça qui allait changer sa vie…
Nos rapports ont été tendus et distants durant cette émission, c’est bien dommage, nous étions juste à deux guitares pour accompagner Michel Delpech, les conditions étaient optimales. Je me souviens qu’Eric est rentré le soir même sur Paris alors que nous allions dîner Lio, Michel et moi en compagnie d’Arnaud Delbarre (directeur de l’Olympia) dans un petit restau très sympa. Cette journée aurait due être magique mais j’étais secoué qu’on puisse penser que j’avais les dents longues.
Nous n’avons plus eu les mêmes rapports par la suite avec Sauviat. Je le regrette profondément et j’assume totalement mon manque de vigilance à la relecture du livret.
Bref aujourd’hui, je vais l’écrire en gras : L’intro au dobro de « Elle ne passera pas un hiver de plus ici » est une création d’Eric Sauviat !
Allez justement on va se quitter avec la version live au Bataclan de cette chanson, intro comprise, sans rancune…
Je me souviens du trac immense que nous avions Michel et moi, derrière le rideau, pendant que l’ami Sauviat se préparait à entrer sur scène… puis je suis entré à mon tour, la peur au ventre comme d’hab, et Michel est enfin entré sous les bravos, l’air faussement décontracté, tout sourire, mains moites et jambes molles, et puis c’était parti.
Merci Laurent ! Superbe conteur, si belle histoire et quel bonheur d entendre la voix de Michel Delpech. Mille mercis pour ce très beau partage !
Bisous
Marilou !!
Elle est super cette chanson. L’histoire derrière, l’histoire dedans (là encore, il y a une « portée sociologique » qui nous raconte très bien). La mélodie est parfaite. Merci pour cette chronique très précise et dommage pour « l’intro qui la conclut » (j’espère que ça s’est arrangé). En tout cas, une grande chanson pour un grand chanteur, bravo à tout ceux qui l’ont fabriquée.