Une fois par mois je me déplace guitare à la main pour rendre visite à mes amis de l’Unité de Vie Protégée (UVP) de l’Accueil St François (ASF) pour un moment musical privilégié   entre nous .

Là bas on appelle cette UVP le Foyer.

C’est un endroit atypique, une maison de vie pour ceux qui souffrent de pathologies comme celle liée à la maladie d’Alzheimer (troubles de la mémoire mais aussi parfois du comportement). Bref , un endroit de vie pas simple à faire fonctionner mais quand on y met de la bonne volonté et les compétences qu’il faut , ça peut devenir un lieu de vie très agréable.

Les résidents du foyer de l’ASF sont des gens talentueux, ouverts, accueillants, sympathiques, drôles, à l’écoute.

Les ateliers que nous avons mis en place début 2021 sont une belle réussite et franchement je me vois bien ne plus faire que ce genre d’animation en ehpad. Seulement voilà, pour arriver à ce résultat il a fallu pas mal de conditions :

• me faire confiance et respecter mon travail
• me donner les moyens pour que ces ateliers se déroulent au mieux. Une pièce tranquille, calme. Un vrai coin pour nous.
• Une installation des résidents optimisée pour le bon déroulement de ces ateliers.
• Une équipe soignante compréhensive et intelligente
• Avoir un service d’animation, une gouvernance, une direction, impliquées  et à la hauteur , pour le bien être des résidents.
• Une maison où l’amour des gens est une priorité

Vous aurez donc vite compris que ce n’est hélas pas réalisable partout puisque tous ces ingrédients doivent être réunis.

J’avais commencé cette expérience il y a quelques années dans certains Ehpad et ça fonctionnait plutôt bien. L’incompréhension et parfois l’incompétence de certaines animatrices et/ou directrices ont été à l’origine de l’arrêt brutal de ces ateliers chansons. Les résidents n’ont pas eu droit longtemps à ce genre de bien traitance dans ces établissements dont je préfère taire les noms.

A l’ASF, ça roule! Et non seulement ça roule mais c’est de mieux en mieux , et je pense que la récurrence de mes visites y est pour quelque chose. Un lien fort est créé entre eux et moi et aussi mais surtout, entre eux.

La musique, par sa magie, a su créer un lien fort entre les résidents. Nous formons un groupe . Un groupe de copains réunis autour d’une guitare, nous chantons ensemble , nous rions ensemble , nous nous écoutons les uns les autres, nous nous applaudissons… et personne ne peut venir nous perturber, nous ennuyer, gâcher notre plaisir commun.

Certains résidents sont de plus en plus à l’aise, et parfois même, deviennent les vedettes du jour, comme Nicole ou Azzedine, timides et impressionnés au début, sont de mieux en mieux dans le groupe et avec moi.

Timides et surtout agités en ce qui concerne ces deux là. Lors des premiers ateliers Azzedine restait cinq minutes et Nicole se baladait. Depuis peu ils restent assis près de moi pendant une heure et prennent du plaisir à participer aux discussions. Ces deux là ne sont pas non plus avares de gentillesses me concernant. Ils savent très bien qui je suis, ce que je viens faire chez eux deux fois par mois, m’appellent par mon prénom…etc

Avec Paul, Alicja et Sylvaine j’ai eu un contact immédiat dès les premiers ateliers. Ils sont brillants, chacun à leur manière, talentueux, observateurs, à l’écoute des autres.

Gaby et Michel souffrent plutôt de troubles du comportement et j’avoue être fier de moi quand je les vois tous les deux , côte à côte pendant la durée de l’atelier , réagir en chantant , en souriant, en tapant dans les mains avec les autres, attentifs, heureux…

Thérèse , c’est ma copine. Celle que j’appelais mon « poisson pilote » lorsqu’elle était du côté ehpad et que je venais faire une animation de fin de mois. Thérèse c’est du bonheur ! Je n’ai pas d’autre mot, Thérèse est LE public idéal pour ce genre de prestation. Une femme d’une grande gentillesse et pleine d’empathie. Toujours un mot gentil pour les autres (idem pour Alicja et Nicole d’ailleurs)

Je vous ai dressé un tableau succinct des personnes assises face à moi ce jour là. La liste est plus longue si on ajoute des personnes comme Denise (bientôt cent ans) pour qui ces ateliers sont des moments de bien être, simplement…

Ce mercredi 20 octobre, je n’étais pas très en forme, gros rhume qui traine et grosse fatigue, mais lorsqu’on chante pour des personnes comme celles là, ça donne de l’énergie. Si je ne suis pas bon, ils le sentent très vite et ne donnent plus grand chose d’eux. Alors on doit être à la hauteur de leurs attentes et de leurs talents.

Quand je suis entré au foyer, j’ai tout de suite remarqué un nombre de soignantes « anormal »  pour la taille du lieu. Armelle, l’animatrice de l’ASF qu’on ne présente plus, en voyant ma tête, est venue immédiatement me rassurer : «  Laurent, ce sont des stagiaires, je les ai briefées, elles vont rester à l’écart et seront calmes . Et puis les deux soignantes sur place ne te gêneront pas, elles sont habituées à  tes ateliers et se feront discrètes » . Armelle veut tellement que ça se passe bien et elle sait autant que moi qu’un rien peut perturber la concentration des résidents du foyer, elle se plie donc en quatre pour que je sois confort . Merci !

Les résidents se sont installés tranquillement en arc de cercle devant moi. Certaines résidentes en souffrance physique étaient aussi des nôtres, et ma copine Thérèse avait la visite de sa fille qui est également restée avec nous.

Tout commence toujours par une discussion. On « refait un peu connaissance ». Je leur rappelle ce que j’attends d’eux pendant cet atelier, par exemple qu’ils restent assis pendant une heure, que chanter n’est pas une obligation mais doit être un plaisir, de même que taper dans les mains ou tout autre exercice rythmique. Mais ils savent déjà tout ça.

Les stagiaires soignantes citées plus haut sont venues s’assoir derrière les résidents et j’ai trouvé cela très émouvant de voir cette jeunesse assise là, discrètement, derrière les anciens, pour ne pas perturber leur moment privilégié, mais aussi avoir l’occasion de chanter avec nous et taper dans les mains. Merci du fond du coeur!

Les résidents sont immédiatement à l’écoute quand je m’installe face à eux. La plupart d’entre eux participent aux discussions et tous sont dans le plaisir dès les premières notes de musique. Sylvaine (pianiste talentueuse) chante en harmonisant, Alicja est très active et très à l’écoute, de même que Nicole qui m’étonne de plus en plus, et même si ce jeudi elle a changé trois fois  de place, elle est restée, et elle percute au niveau des discussions.

La seule que l’on ne peut pas empêcher de bouger est Francesca mais pour une fois elle est restée un quart d’heure assise à côté d’Azzedine. Un exploit . Fransesca déambule, mais passe et repasse près de ma guitare en souriant … c’est sa manière à elle d’être bien et tout le monde la comprend.

Je sais que c’est difficile pour Paul ou Thérèse de ne pas se lever pour chanter, alors ce jeudi j’ai prévu un exercice particulier pour eux deux. Chanter en solo, à mes côtés, devant leurs amis…

Au milieu de la séance j’ai demandé à Paul de venir me rejoindre et d’interpréter cette beauté Capverdienne  qu’il connaît par coeur et chante avec grâce : Sodade

L’ovation que Paul a reçu de la part des soignantes et des résidents l’a beaucoup ému, et nous avons enchainé avec une chanson de Bob Marley que Paul chante en tapant dans les mains avec ce rythme chaloupé dont il a le secret  : Is This Love 

Puis ce fut le tour de Thérèse qui ne tenait plus en place à côté de sa fille.

Thérèse est venue près de moi, et comme elle le fait si bien, nous a interprété deux chansons d’Edith Piaf , en marquant la cadence de ses pas d’un mouvement de main très gracieux. Thérèse a aussi eu une ovation bien méritée.

Du coup l’idée m’est venue de les faire chanter en duo . No Woman No Cry  de Bob Marley, que Paul chante en anglais et Thérèse en « yaourt anglais » . Chacun leur tour, puis ensemble, et ainsi de suite…  et parfois avec l’assistance dont les visages allumés me rendait heureux !

Cet atelier s’est hyper bien déroulé. Les résidents me semblent être en progrès constant. Nous formons un joli petit groupe d’amis et nous prenons tous du plaisir à nous retrouver autour d’une guitare . Je suis super content et reconnaissant envers Guylaine (directrice) et Armelle (animatrice) d’avoir mis en place ces ateliers « mémoire et bien-être » mensuels pour le plus grand bonheur des résidents du foyer.

Quelques soignantes de l’ehpad , Alexandra, Anaïs, Gladys et Isabelle, sont venues faire un saut de puce discret et sympathique pendant mon atelier. Elles ont fait en sorte que les résidents les ignorent pour ne pas perturber mon travail . Merci les filles!

Les deux soignantes sur place , Carline et Mireille, ont été formidables! Discrètes et proches de ceux qui sont en souffrance. Et comme j’ai commencé un peu en retard ,elles ont même décalé le goûter prévu à 16h pour ne pas abimer ce moment « entre nous » . J’ai trouvé leur attitude très classe ! Alors merci!

Je retourne jeudi prochain à l’ASF pour une fête pour tout le monde (EHPAD, Accueil de jour et Foyer). L’équipe soignante de choc sera présente ! On va s’éclater.

Crédits photos : Armelle et Dalila

 

Adieu Guy :

Mon copain Guy nous a quittés dernièrement.

Guy était de la fête, de toutes les fêtes… Jouer pour lui était un vrai bonheur pour moi, tant ses yeux me racontaient chaque fois une belle histoire.

Je me souviendrai longtemps de ce repas de Nöel, il y a deux ans, ou Guy avait déjeuné avec les autres résidents et avait remangé avec nous lors du repas du personnel qui avait suivi. Sa gourmandise était un bonheur à voir, et parfaitement cohérente par rapport à son regard.

Ses tenues, souvent rock n’ roll, me plaisaient beaucoup et lui donnaient une belle allure.

J’aimais bien le faire marrer. Je lui racontais des bêtises et aussitôt son regard pétillait.

Après le confinement j’ai retrouvé Guy à l’accueil de jour, alors je lui chantais une deux chansons.. rien que pour lui parfois.

C’est jeudi 21/10, qu’avaient lieu ses obsèques . Je n’ai pas pu m’y rendre car je chantais dans un autre établissement « monsieur Vincent » à Paris , alors j’ai commencé mon animation du jeudi par un hommage à Guy en chantant Chez Laurette.

J’ai expliqué aux résidents parisiens  pourquoi je commençais par cette chanson et ils ont chanté avec moi avec beaucoup de coeur… il y avait là une forte ambiance de respect, d’amour, quelque chose de presque religieux… C’était très émouvant… et j’espère que ça a fait sourire mon copain Guy , de là où il se trouvait à ce moment là.

Salut Guy. Repose en paix mon ami.

Pensée émue pour Guylaine, sa fille,  qui s’est tellement bien occupé de lui…