Je vous l’annonce depuis quelques mois. Maintenant que les chapitres « Michel Delpech , l’album Comme vous » sont clos, je me lance dans une série d’articles concernant les chansons que j’ai eu la chance de composer pour mon ami chanteur.
L’objectif est de vous faire découvrir le coeur de ces chansons là, de la création à la promotion en passant par l’enregistrement.
Pour certains titres j’ai déjà donné quelques détails lors des chapitres « album comme vous ». Je reviendrai certainement dessus, quitte peut être à me répéter.
Commençons donc par le commencement. La première chanson décortiquée est celle qui a donné son nom à l’album mais aussi la première dont Michel m’a confié le texte :
Comme vous: Paroles Michel Delpech / Musique : Laurent Foulon
Tout commence par une entrevue entre Michel Delpech et moi, sans arrière pensée, le plus simplement du monde, chez lui, autour d’un verre de vin… Un bon début.
Ce jour là Michel me confie qu’il est en train d’écrire un texte qui s’adresse à la jeunesse, et notamment la jeunesse dont il est proche, à savoir ses enfants. Mais « le texte n’est pas tout à fait abouti » me dit il et peut être me l’enverra t-il dès fois qu’une inspiration mélodique soudaine vienne faire de ces paroles là une chanson…
Je finis l’excellent Bordeaux que son épouse m’a gentiment servi, et je rentre chez moi, à 3 heures de route de chez eux.
Quelques jours plus tard je reçois le texte Comme vous avec un petit mot l’accompagnant : « Laurent prenez votre temps, il n’ y a aucune urgence... Michel ». C’est ignorer le boulimique que je suis…
De l’écriture à la composition :
J’ai composé quelque chose dès la première lecture du texte… j’appelle donc l’auteur Delpech qui est à la fois heureux et surpris de ma vitesse de réaction. Nous nous donnons rendez-vous et je reviens donc chez lui, guitare à la main pour lui jouer et chanter en direct ce qui est en fait notre « première chanson ».
Vous avez dit trac??? Oh que oui…et je crois que c’était réciproque.
Je me souviendrai longtemps de ce moment là:
Lui, fermant les yeux pour mieux se concentrer en écoutant, moi le regardant dodeliner légèrement et taper du pied en cadence, ses trois chiens pas très loin de nous, le café servi sur la table basse du salon où nous étions, mes doigts hésitant sur le manche de ma guitare, le regard mouillé du chanteur à la fin de la chanson, et pas un mot, juste un échange de regards. Ça ne me quittera plus.
Je reste dîner et après cet excellent repas, Michel m’invite dans son bureau et me sort quelques «départs», des idées, des bouts de textes, comme on aurait présenté un trésor caché, quelque chose de très précieux.
Et c’est toujours resté comme ça. Michel m’a toujours confié ses textes, timidement, comme on confie un secret, une part de soi, quelques deniers au fond d’une bourse… Et j’ai toujours trouvé cela touchant.
Je n’ai jamais lu un texte en sa présence. Je repartais avec mon trésor de pirate caché au fond de ma poche et j’attendais d’être seul, au calme, guitare sur les genoux, pour découvrir les mots.
Un autre auteur avec lequel j’ai eu la chance de faire deux ou trois chansons, agissait de la même manière en me donnant ses textes, sauf que lui me les lisait à voix haute avant de me les confier. Son nom : Pierre Grosz
Un homme émouvant, immense auteur d’immenses chansons, par exemple : Je voulais te dire que je t’attends, Les vacances au bord de la mer entre autres succès de Michel Jonasz, mais aussi une femme avec une femme pour Mecano, ou encore Jour de neige pour Elsa…
J’aurai l’occasion de reparler de cet homme touchant quand j’écrirai l’article sur Dans chatou qui dort car il en est le co-auteur.
Revenons donc à la chanson Comme vous.
Pour être tout à fait honnête, la première version de cette chanson n’est pas celle que vous connaissez. J’avais fait un truc totalement à l’opposé mais ça plaisait bien au chanteur.
Une mélodie assez lente et plutôt Hippie que j’imaginais avec des choeurs « Gospel» et des instruments à cordes un peu «world music ». Nous adoptons vite cette première version de la chanson. La mélodie semblait coller sur les paroles et nous étions déjà très enthousiastes tous les deux.
C’est juste avant d’entrer en studio que j’ai changé la mélodie. Nous sortions d’une réunion importante au sein de la maison de disques Tréma, réunion au cours de laquelle Michel Delpech annonçait à tous les responsables du Label présents qu’il souhaitait que je réalise l’album Comme vous. (voir chapitre ci dessous)
J’ai dit à Michel que j’avais quelque chose à lui faire écouter. Nous nous sommes isolés dans une pièce minuscule remplie de cartons (en effet Tréma déménageait pour s’installer chez Universal et devenir les disques AZ, c’était la fin d’une belle aventure).
J’ai sorti ma guitare et j’ai chanté ma nouvelle idée mélodique sur le titre Comme vous. Michel, après avoir attentivement écouté, m’a juste dit : Bravo! c’est tellement plus cohérent.
Nous avons donc vite oublié l’ancienne version, adieu Sitar, Oud, tablas, Darbouka et bizarreries électro.
J’avais déjà une idée des arrangements de cette nouveauté, plus simple, plus raccord avec le reste de l’album.
En attendant d’enregistrer cette chanson, Michel peaufine son texte. Il change un mot pour un autre, se documente sur la Beat Génération.
Il appelle quelques copains (Pierre Grosz, Pierre Grillet par exemple) et leur demande : « est-ce correct si je m’associe à la Beat Génération? » « est -ce que le groupe Grateful dead peut être considéré comme faisant partie de cette Beat Génération? », « et le film Easy Rider? »
Une fois qu’il a toutes les réponses à ses doutes, il est tranquille, son texte tient la route, il va pouvoir le chanter sans aucune appréhension.
J’ai gardé chez moi quelque part la maquette du premier jet de cette chanson (la version 1). Un jour peut être je l’écouterais.
J’ai aussi gardé toutes nos séances de travail de création. Je branchais systématiquement un dictaphone lors de nos rencontres. Cela nous permettait de nous lâcher, de dire tout ce qui nous passait par la tête, ensuite je réécoutais ces longues heures de mini- K7, je faisais le tri, j’en reparlais à l’auteur – chanteur et il me faisait confiance à 100% pour ce qui était des mélodies ou de la direction musicale à prendre.
Je me rappelle des longues conversations à propos des chansons, gravées sur ces mini bandes magnétiques. Un jour ça aussi je réécouterais certainement…. un jour…
Enregistrement de la chanson Comme vous :
Nous enregistrons au studio Acousti, rue de seine à Paris.
Christophe Marais, notre ingénieur son est prêt:
Les musiciens choisis pour ce titre sont :
Denis Benarrosh à la batterie,
Bernard Paganotti à la basse
Gérard Bikialo au piano, Bertrand Belin et Eric Sauviat pour les guitares.
C’est d’ailleurs Bertrand Belin qui trouvera et jouera le gimmick du morceau. Vous savez ce riff de guitare très « sec » joué avec sa Telecaster, un riff très influencé par Mark Knopfler …Il savait comment me séduire le bougre… Merci encore Bertrand!
On me branche un micro à côté de la console pour faire ce qu’on appelle une voix témoin, c’est à dire une voix qui guide les musiciens pendant qu’il jouent. je connais parfaitement la structure du morceau, la mélodie et le texte et cela permet au chanteur de se concentrer, de prendre quelques repères et de ne pas user sa voix inutilement.
Les musiciens se connaissent très bien. Ils aiment jouer ensemble. A part Bertrand Belin, nous avons l’équipe de Francis Cabrel au grand complet.
Ce sont exactement les types dont nous avons besoin pour cette chanson. D’ailleurs l’un d’eux me fait justement remarquer que la rythmique de Comme vous est assez proche de celle de Bonne nouvelle de Cabrel. Tant mieux!
De mémoire je pense que les instruments ont été enregistrés en deux ou trois prises. ce qui n’est rien du tout. Nous avons de la chance. La chanson sonne tout de suite comme il faut, et ce que j’avais dans la tête prend forme. Je suis content!
Plus tard nous ajouterons la guitare de Manu Lanvin. C’est elle qui joue en solo continu sur toute la chanson. Manu était vraiment content et fier de jouer sur un album de Delpech. Il avait un immense respect pour lui… et en plus Manu Lanvin est un type vraiment bien.. la sincérité, les belles valeurs et tout et tout.
Les rythmiques sont donc terminées. Une fois que Michel aura posé sa jolie voix, je ferai les choeurs.
Sa voix a été enregistrée assez vite également. Je disais un peu plus haut que lorsqu’il n’a aucun doute sur son texte, il est capable de boucler la chanson en quelques prises.
Ensuite, comme sur tous les titres nous passons beaucoup de temps à peaufiner tout ça, à faire des micro-recalages de voix, de choeurs à optimiser la chanson pour qu’elle coule mieux à vos oreilles. J’ai déjà évoqué ceci vers la fin du chapitre 8 :
Comme vous dure 6’15. C’est long mais c’était notre choix. Nous n’avons jamais été limités dans nos choix et c’est très confortable. Nous voulions un disque ou l’on prend aussi le temps de laisser parler la musique, loin des standards formatés des radios. D’ailleurs pour ces dernières nous avons fait un mix (mixage) plus court de ce titre. Un truc standardisé en 3’30, au cas ou elles auraient eu envie de le diffuser.
Nous avions fait des mix « radio » sur tous les titres. Cela évite que les radios charcutent les chansons elles mêmes… parfois elles coupent à la hache un titre qui leur paraît trop long, comme bon leur semble.
Mais sur l’album, la longueur des parties instrumentales demeurait notre choix artistique à tous les deux.
Peu de promotion TV, Radios pour ce titre là. Une belle émission en live acoustic nous a permis de le jouer dans sa version courte, et puis les concerts bien sûr…
En concert : Comme vous a été joué au Bataclan, à la Cigale, au festival d’Aix en provence, aux Francofolies et au festival des vieilles charrues (devant 25000 personnes).
Mon meilleur souvenir de scène concernant la chanson Comme vous : au Bataclan. Avec Bertrand Belin et Manu Lanvin en invités, ça faisait du monde sur scène, et du travail au mixage du DVD… ah ah ah les oreilles d’Alain Cluzeau ont saigné pendant ce mix là.
Je me souviens de Manu Lanvin qui a joué la partie solo avec l’énergie qu’on lui connaît ce soir là…sauf qu’il nous avait caché qu’il s’était cassé la main le jour même… en regardant sa main bleue et énorme après le concert, je me rappelle lui avoir dit : « t’es dingue, pourquoi t’a rien dit? » et Manu de me répondre : « Oh ça va aller, et puis j’allais quand même pas rater ça non? ».
Le pire, c’est que le DVD est mixé sur les deux jours de concerts que nous avions au Bataclan. En clair nous avions deux soirs au Bataclan, lundi et mardi. Et le mardi, la main de Manu n’allait pas mieux, bien au contraire, et il nous a refait le même numéro.. Chapeau!
Mon meilleur souvenir en studio concernant la chanson Comme vous restera sans doute les séances de choeurs. Et notamment ce qui suit:
Je suis derrière le micro et je hurle une voix assez haute. Michel en face de moi, derrière la vitre, aux côtés de nos ingénieurs sons, Christophe et Ludovic. Un fou rire qui prend forme, l’ami Delpech plié en deux dans son fauteuil, les larmes aux yeux, et une séance que l’on est obligé de suspendre… Ces moments là me manquent et me manqueront sans aucun doute encore très longtemps.
Si vous tendez l’oreille en écoutant la version studio, sur les mots Hyppies , Beat , Generation et Easy rider , vous entendrez ma voix haute et gueularde loin derrière…
Voilà le premier volet de cette nouvelle saga terminé. J’espère vous avoir donné envie d’écouter les chansons de Michel Delpech autrement. On se quitte avec Comme vous en entier?
Ci dessus, Comme vous version acoustique, extrait de cette belle émission live sur TV5 enregistrée au studio Guillaume Tell à Suresnes dans d’excellentes conditions.
Le sourire de notre batteur David Maurin contraste avec mon côté « fermé » pour cause de grippe et 40 de fièvre ce jour là, et des raccords « maquillages » sur ma peau transpirante fiévreuse avant chaque enregistrement… malgré tout cela reste un bon souvenir.
David Maurin, Alain Kohn et Bertrand Comère ont joué parfaitement les morceaux. Ils aimaient les chansons de l’album, notamment David et Alain qui ont aussi enregistré la plupart des titres de l’album Comme Vous en studio et qui étaient très présents aux côtés de Michel.
Pour ne pas oublier notre talentueux ami , trop tôt disparu:
Michel Delpech: l’album « Comme vous » chapitre 5: David Maurin
Merci de votre fidélité. A très vite
Merci de nous faire partager ces succulentes anecdotes, Michel nous manque à touts,
je partage sur son groupe,
encore merci
Françoise